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TWICE MAGAZINE n°83

Je remercie infiniment le magazine papier Twice, d'avoir accepté le lancement de La Chronique Dystopique. Pour cette quatrième "Chronique Dystopique", parue dans le numéro 83 de Twice, et intitulée  La Vérité, je pose mon dévolu sur Swastika Night de l'écrivaine Katharine Burdekin , réédité chez Piranha en 2016, puis sortie chez Pocket, et traduite de l'anglais par Anne-Sylvie Homassel.

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"LA CHRONIQUE DYSTOPIQUE

 

LA VERITE

 

 

 

 

Très chers lecteurs de Twice, pour cette quatrième Chronique Dystopique, je vous propose de découvrir un récit qui se situe dans le courant littéraire nommé uchronie : si la science-fiction se base sur des faits inventés, l'uchronie utilise l'Histoire, pour en détourner son cours.

L'autrice britannique Katharine Burdekin, née le 23 juillet 1896 en Angleterre, et décédée le 10 août 1963, voit son roman « SWASTIKA NIGHT » publié en 1937 par Victor Gollancz, sous le pseudonyme de Murray Constantine Je propose ici la réédition française parue chez Piranha en 2016, puis sortie chez Pocket, et traduite de l'anglais par Anne-Sylvie Homassel.

 

L'autrice demeure la pionnière pour écrire une oeuvre qui imagine ce qu'il serait advenu si l'Allemagne nazie avait remporté la guerre, alors qu'elle même vivait dans un contexte historique proche de la Seconde Guerre Mondiale (1937), tout en lui donnant une orientation volontairement féministe. Après avoir écrit « THE BURNING RING » en 1927 sous son propre nom, elle décide de prendre le pseudonyme de Murray Constantine, afin de demeurer plus libre dans son écriture, et que puisse sortir dix ans plus tard le chef-d'oeuvre dystopique chroniqué ici. Ce sera grâce à une chercheuse d'université, Daphne Patai, que la véritable identité de son autrice se révélera au public, dans les années 80, tout ayant aussi réussi à en savoir plus le travail avant-gardiste de l'écrivaine, en retrouvant sa compagne et en correspondant avec.

 

Katharine Burdekin appartient à ces écrivaines très peu connues en France, et j'espère alors, par le biais de cette chronique, vous donner l'envie de découvrir son uchronie.

 

 

« Et je crois à l'orgueil, au courage, à la violence, à la brutalité, au sang versé, à l'absence de pitié et à toutes autres vertus héroïques et militaires. Heil Hitler... »

 

L'intrigue commence en terre allemande.

On y découvre Hermann, jeune nazi, subjugué par la beauté printanière d'un choriste déclamant les cantiques hitlériens, alors qu'il participe au culte ordinaire mensuel, dans la chapelle Goebbels, organisé par le régime fasciste, déifiant Hitler. S'ensuit alors la célébration obligatoire réunissant les femmes, toutes vêtues de la même tunique, de la même allure courbée imposée sous peine de représailles, et d'un même visage enlaidi par des cheveux rasés : celle-ci demeure présidée par le second protagoniste de notre scénario : le chevalier Von Hess.

La hiérarchie s'organise ainsi dans cette dystopie : désignés par le Dieu Hitler, les chevaliers possèdent les pleins pouvoirs, auxquels demeurent soumis les nazis ; puis les femmes, qui sont considérées comme des animaux. La haine contre les chrétiens au sang impur s'affiche bien clairement.

 

Les obligations religieuses achevées, en sortant de la chapelle, le jeune Hermann tombe face à face et avec euphorie avec son ami anglais, le matricule EW 10762, rencontré alors qu'il effectuait son service militaire en terre britannique : le troisième acteur de l'oeuvre du pseudo Murray Constantine entre en scène. Les deux hommes se congratulent, et décident de marcher dans les bois afin d'y converser tranquillement. Le grand britannique, en pèlerinage, souhaite cependant s'assoupir, laissant Hermann veiller sur lui. Les sentiments amicaux laissent place à la peur de trahir son Sang teutonique, et de sombres desseins l'envahissent, jusqu'à ce que son attention soit détournée par des cris : il reconnaît alors le jeune choriste du culte, en pleine tentative de viol d'une fillette chrétienne de douze ans- qui n'a pas encore atteint l'âge de seize ans à partir duquel elle doit se soumettre aux désirs masculins, fatalité de toutes les femmes-, ce qui constitue la trahison ultime envers un compatriote. La rage et la jalousie l'amènent à défigurer le chanteur, arrêté dans sa folie par Alfred son ami anglais. Le choriste ne meurt pas immédiatement, mais ne survivra pas à la barbarie du nazi : Hermann l'illettré colossal vient de commettre une horreur qui scellera à jamais son destin.

 

Huis Clos

Le chevalier Von Hess prend la déposition du nazi qui témoigne contre le chanteur, justifiant son acte par la tentative de viol du choriste envers la jeune chrétienne, fait considéré par le régime comme pire qu'un crime, tout chrétien possédant un sang impur.

Congédié par le chevalier, le jeune allemand s'en retourne dormir dans son étable, tandis que les deux hommes érudits restent ainsi ensemble, s'entretiennent avec un plaisir réciproque, tissant des liens forts, malgré leur appartenance à des nations ennemies : «- Les grands hommes, dans leur solitude, répondit le chevalier, se rejoignent parfois. Même si l'un est allemand, et l'autre anglais... ».

Une sorte de huis-clos a ainsi lieu, occupant quasiment les deux tiers du roman de Katharine Burdekin, se déroulant sur trois soirs : le magnifique domicile du vieux Von Hess sera le théâtre d'un échange passionné entre les deux hommes, auquel se joindra de temps en temps Hermann l'analphabète. Alfred le britannique, mécanicien, aura le privilège de piloter l'avion du chevalier et de l'amener voler au-dessus de Munich ; il apprendra aussi que ses descendants ont, à tour de bras, protégé et rédigé un livre, celui de la Vérité, révélant tout ce que le Régime occultait, et notamment, l'origine d'Hitler, faussement érigée comme divine, ainsi que la beauté des femmes, d'avant la dictature. Elles avaient été désirables : « Car le chevalier savait ce qu'aucun autre homme ne pouvait soupçonner, ce qu'aucune femme n'aurait pu imaginer, même au prix d'un effort surhumain de son pauvre et faible esprit confus : les femmes, jadis, avaient été aussi belles, aussi désirables que les garçons ; elles avaient même été aimées... ». Il découvrira aussi les dons de violoniste que possède le chevalier, et comment toute création artistique, considérée comme dangereuse par cet état dictatorial, fut annihilée.

Lui-même, Alfred, ne croyant pas à la divinité hitlérienne, prend le relais de la transmission de la Vérité et de la connaissance, en promettant de mettre le précieux livre à l'abri de l'obscurantisme : « Les hommes faibles ne peuvent supporter la connaissance .»

 

Le bannissement

L'uchronie dépeinte par Katharine Burdekin, à la différence de La Servante Ecarlate de Margaret Atwood, précédemment chroniquée, ne décrit que très peu de scènes de violence ; l'Ombre du Mal demeure cependant constante : il s'agit du Régime Totalitaire Nazi déifiant Hitler. Le chevalier germanique exprime bien la stratégie de domination fasciste mise alors en place : « Mais on peut aussi maintenir les races soumises en état d'infériorité essentielle et leur donner à penser qu'elles sont gouvernées par une nation sacrée constituée d'hommes entièrement différents, leur refusant à jamais l'accès à une égale citoyenneté. C'est notre conception. Il est inimaginable pour nous qu'un individu puisse s'arroger le droit d'être allemand s'il ne l'est pas de naissance. Nous sommes le Sang. Et vous autres êtes le non-Sang... ».

Nous nous figurons alors ce que peuvent encourir les malheureux- ou les malheureuses- désobéissant à la dictature en place, et il en est de même pour la terrible épreuve du bannissement- ou dégradation-, qui s'avère pire que la mort, puisqu'elle implique l'exil et le renoncement au Sang, pour devenir « le non-Sang ». Ainsi, Hermann, le jeune nazi, qui souhaite à tout prix rejoindre son ami anglais retourné dans son pays une fois achevé son pèlerinage allemand, doit présenter une seconde déposition au chevalier, prouvant que son premier témoignage visait à nuire au petit choriste, en mentant sur les faits, celui de la tentative de viol d'une chrétienne, impliquant la sentence immédiate de l'excommunication : « Accuser faussement et en toute connaissance de cause un Allemand d'avoir des relations avec une chrétienne, c'est, pense-t-on, la pire injure qu'un Allemand puisse faire à l'un de ses compatriotes. Pire que de le rosser, pire que de le tuer... »

 

Le retour

L'action plantée par l'autrice nous amène à découvrir trois décors différents : en début de récit, le crime commis par le jeune nazi se situe en terre germanique, probablement proche de Munich ; à la fin du roman, Alfred l'ingénieux britannique nous fait découvrir son Wiltshire natal ; et la transition entre les deux pays reste marquée par le huis-clos, orchestré par le fin chevalier.

Ainsi, son pèlerinage allemand fini, le transmetteur de vérité britannique, portant à bout de bras le précieux livre, regagne sa terre natale, escorté par l'armée nazie, et révèle son habitation, partagée avec ses deux fils aînés, et Thomas son frère cadet homosexuel, ainsi que le tumulus secret de Stonehenge, où il dépose le précieux parchemin. On peut à ce moment commenter deux faits intéressants dans cette Histoire détournée : bien que le régime demeure totalitaire, les femmes engendrent tellement de mépris et d'ignonimie, qu'il n'est nullement proscrit qu'un homme ait des relations homosexuelles ; par ailleurs, le récit démontre des tonalités d'humour : nous découvrons au fil de notre lecture, que le pèlerin, malicieux, a reconstitué et rhabillé lui-même les squelettes- restes de la guerre- qui gisaient dans l'abri bétonné, afin qu'ils « gardent » le tertre, les nazis exécrant les fantômes, dans cette dystopie.

 

Les femmes

Cet écrit de Katharine Burdekin affiche de sérieuses consonances féministes. Les femmes qui campent son roman demeurent de « pauvres créatures sans âmes » toutes justes « bonnes à enfanter des garçons en bonne santé ». L'occupation nazie, subie par le monde entier, dans le détournement historique que nous lisons, applique invariablement sa domination masculine, et sans limite de frontière ; même dans le pays de notre protagoniste anglais, les femmes demeurent parquées dans des «quartiers de femmes », soumises aux hommes, nazis ou anglais.

Ainsi, ayant repris son travail à l'atelier dans son pays retrouvé, Alfred apprend par un collègue que sa femme, Edith, vient de donner naissance à une petite fille, ce qui demeure une honte absolue. Il repense alors au discours du chevalier, à l'existence des femmes d'avant, belles et séductrices, et il se décide à rendre visite à son épouse, vivant dans cet espace clôturé gardé par l'occupation allemande, qui possède son hôpital et sa maison de correction, afin de châtier les malheureuses lorsqu'elles se battent entre elles : « Aucune des femmes ne trouvait sa vie singulière. Elles n'étaient pas plus conscientes de l'ennui, de la privation de liberté, des humiliations que des vaches aux champs. Elles étaient trop bêtes pour être perturbées par quoi que ce soit, excepté la douleur physique, la perte des enfants, la honte de mettre au monde des filles et l'étrange chagrin collectif qui les envahissait toujours à l'église.. »

Il aperçoit Ethel, sa petite fille, qu'il souhaite prendre dans les bras. Sa femme lui concède quelques minutes avec elle, terrorisée à l'idée qu'elle puisse subir les foudres du mécontentement d'un père déçu par le genre de son enfant. Il imagine la vie qu'il pourrait avoir avec Ethel et Edith, en dehors du quartier des femmes. Puis, il repense à son engagement de Transmission de la Vérité, et renonce à changer le cours futile de la vie de sa femme et de sa fille : « Qu'elle était ténue, futile, l'émotion qu'il avait ressentie devant sa petite fille, en comparaison de la tâche que Von Hess lui avait confiée : la vérité- la sauvegarder, d'abord, puis la répandre. C'était plus important que tout le reste... »

 

Stonehenge

L'acte final de cette uchronie dystopique va se dérouler dans le tumulus abritant le précieux manuscrit, au lieu dénommé Stonehenge. Les nazis, décrits par l'écrivaine comme redoutant les fantômes, vont y jouer l'ultime rôle. Encore une fois, si le ton global de l'odyssée ne peut s'apparenter à une nouvelle humoristique, certains passages relèvent du pittoresque, notamment lorsqu'un des militaires, en exploration dans l'abri, reçoit sur lui les squelettes effondrés. Si l'issue demeure tragique pour Alfred le valeureux britannique, il reste une lueur d'espoir pour que la relève de transmission du savoir occultant l'obscurantisme dans lequel plonge le monde entier le régime fasciste, puisse triompher, grâce à son jeune fils Fred.

Ainsi, trois jours après l'arrivée de l'anglais dans son pays, Hermann débarque chez son ami britannique. Son visage hagard dénote une terrible épreuve subie lors du bannissement, appuyée par l'uniforme Rouge imposé par le châtiment, porté sur son gabarit herculéen. Ne pouvant risquer d'héberger le nazi banni chez lui, Alfred l'amène dans la ferme d'une connaissance, où il pourra continuer d'exercer son métier de bêcheur de la terre et loger.

Les soirées amènent Alfred, Fred, son fils aîné, et Hermann, à effectuer des lectures du précieux livre remis par le chevalier, éclairés par les indispensables bougies qu'ils possèdent. Même si le jeune nazi ne possède pas l'intelligence requise pour comprendre le contenu des lectures, ces soirées agrémentent son quotidien morose de banni au non-sang.

Un soir, le trio continuant sa lecture, n'entend pas tout de suite les pas de soldats ; Fred alerte en premier son père. Celui-ci souffle à son fils de prendre le précieux document en partant avec, tout en prenant soin de reboucher le trou de sortie, ce que l'adolescent réussit sans problème. Il conseille à son père d'expliquer aux nazis que les deux hommes se trouvent à cet endroit, en raison d'un « rendez-vous galant ». Cependant, Hermann, voyant arriver les nazis, encore sous le choc de son bannissement, se jette sur eux, et est abattu par deux fois, sombrant alors dans un repos paisible et éternel. De son côté, l'anglais explique au caporal allemand que la cause d'une entrevue secrète entre les deux hommes explique sa présence dans le tumulus, jusqu'à ce qu'un bruit assourdissant révèle les squelettes tombés sur un des nazis, qui, pris de panique, se venge sur le visage sans vie d'Hermann, amenant le malheureux Alfred à perdre le contrôle sur les nazis. L'épisode, insolite, mérite d'être cité : « Oh, l'effroyable vacarme, digne d'un mariage de quakers ! Le spectacle de ces squelettes affreux, à demi vêtus, s'écroulant lentement et avec maints craquements dans la pénombre, sans l'intervention d'une quelconque main humaine, fut, pour le plus tendu, le plus inquiet des allemands, la goutte qui fit déborder le vase. Il bondit et poussa un cri sonore. Les autres éclatèrent de rire- un gros rire point dépourvu d'hystérie-, si bien que le soldat, donnant libre cours à sa honte et à sa colère, se mit à rouer de coups de pieds le visage d'Hermann, qui gisait commodément à portée de son lourd godillot. Alfred, pour la première fois depuis son adolescence, perdit complètement le contrôle de ses nerfs. Il sortit les mains de ses poches et frappa violemment le nazi au visage. Après quoi l'abri sembla s'écrouler sur lui... »

Le malchanceux anglais se réveille dans une chambre d'hôpital, mourant, conséquence des coups que les nazis lui ont assénés, et entend son fils lui murmurer que le livre demeure en lieu sûr, chez son ami Joseph, le chrétien : « C'est le lieu idéal pour la vérité. Ils ne la comprennent pas et, cependant, personne n'aurait l'idée de la chercher parmi eux. Et je vais former les hommes qui la répandront quand le temps sera venu. Ce ne sera pas facile, mais j'en suis capable... »

 

De quelle Vérité parle le jeune Fred ? Entrevoit-il pouvoir changer Son monde ? Vers quels auspices ? De quelle nouvelle considération pourraient enfin bénéficier les femmes ? L'amour pourrait-il y trouver sa place ?

 

Très cher lecteur de Twice, très chère lectrice de Twice, je te laisse le soin, à ton tour, et si tu le souhaites, et par ta force, de préserver la VERITE, afin que la CONNAISSANCE continue à se transmettre, et qu'elle laisse place à un monde meilleur, car « les hommes faibles ne peuvent supporter la connaissance... ».

 

Sandrine Deville"

 

Afin d'illustrer cette chronique, j'ai choisi diverses photographies de Stonehenge, théâtre final de cette dystopie. Voici leurs liens :

https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Storm_Clouds_Over_Stonehenge.jpg

https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Stonehenge_0013.jpg

https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Stonehenge,_RP-F-F80279.jpg

https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Stonehenge_-_geograph.org.uk_-_1621121.jpg

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Sandrine Deville

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64 200 BIARRITZ FRANCE

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